Exposition : de Corot à Vlaminck, fier d'être banlieusard
L'exposition « Peindre la banlieue : De Corot à Vlaminck, 1850-1950 », à Rueil-Malmaison, est digne d'un grand musée. De l'impressionnisme à l'industrialisation, cent ans de bouleversements.
Yves Jaeglé
19 février 2017, 7h00 | MAJ : 19 février 2017, 11h31
Un banlieusard se demande souvent s'il vient de quelque part, ou de nulle part. « Le mot, le thème sont péjoratifs. Quand j'ai proposé cette exposition Peindre la banlieue 1850-1950, il y a eu des réticences sur le mot banlieue, que certains auraient préféré ne pas voir dans le titre. J'ai insisté parce qu'elle a une histoire, elle est belle... », confie Véronique Alemany. Cette historienne d'art et ancienne directrice de musées, à la retraite mais pas en retrait, a eu l'idée de ce bijou d'exposition de 140 oeuvres, signées Monet, Cézanne, Corot, Caillebotte, Sisley, Dufy et Picabia, mais aussi de petits maîtres qui offrent un grand bonheur, celui de la révélation, de la réconciliation aussi, avec un territoire dénigré.
« Peindre la banlieue » pourrait se tenir au musée d'Orsay, sans rougir, et ne concerne pas que les Franciliens, mais tous ceux qui se sentent habités par l'âme d'un lieu de vie. Il faut prendre sa voiture ou le RER A puis le bus 258 jusqu'à l'Atelier Grognard, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), un espace d'exposition mal connu, situé près du château de la Malmaison, qui abrita les amours de Napoléon et Joséphine.
Galanterie, baignade et clichés
Fier, oui, de découvrir une histoire et une géographie à une région qui ne se réduit pas à un écheveau de lignes RER, à travers des prêts des musées d'Orsay, d'Art moderne de la Ville de Paris, de l'Orangerie, mais aussi de petits musées franciliens qui possèdent des chefs-d'oeuvre : Poissy, Mantes-la-Jolie, Sceaux, Saint-Denis, Suresnes, ou même la mairie de Saint-Ouen ou le conseil départemental du Val-d'Oise qui a confié un splendide Monet, sans parler des collections particulières dont sort notamment un remarquable Marquet.
« Quai à Ivry » (1951), de Louis Toffoli. (MUSÉE DU DOMAINE DÉPARTEMENTAL DE SCEAUX.)
L'union des petits fait la grandeur de cette exposition pas comme les autres. « Ce thème de la banlieue est peu traité. J'ai lancé un petit caillou dans l'histoire de l'art, l'histoire tout court. Je voulais rendre hommage à ces vues, ces personnages, ces peintres méconnus aussi. Il y a beaucoup de clichés, notamment sur la banlieue loisirs, la campagne peinte par les impressionnistes. C'était à moi de chercher, et d'oser de petits noms », lance la commissaire.
L'exposition s'ouvre par les images les plus riantes. Qu'elle était verte la banlieue de nos ancêtres, avec ses fermes, ses rivières dédiées à la pêche, la galanterie, la famille ou la baignade. Ou le patinage, comme dans « la Seine est prise ! Chatou, 1895 », de Gustave Maincent, témoignage d'un hiver si froid où des voitures à cheval ont traversé la Seine. L'émotion nous prend devant la tour Eiffel, peinte en 1890, un an après sa construction, mais vue de loin, comme inaccessible, des pentes du mont Valérien. Ou le chantier du métro à Issy-les-Moulineaux, peint par Maximilien Luce en 1920.
« La Seine à Nanterre » (vers 1880), de Pierre-Emmanuel Damoye. (MUSÉE DU DOMAINE DÉPARTEMENTAL DE SCEAUX.)
L'industrialisation maltraite le paysage, mais ne le détruit pas. La peinture devient même encore plus vitale pour lui donner une âme. La note finale appartient à un inconnu, que même l'experte avoue avoir découvert : Jean Lugnier (1901-1969) a peint « la Zone », ces baraques précaires au-delà des fortifs, entre Paris et banlieue. Un thème que l'on connaît à travers la photo, pas la peinture. Lugnier laisse aussi « Jardins ouvriers à Saint-Ouen », la même année, en 1934. Personne sur l'image, une cheminée, quelques toits, une usine, des carrés de jardins vides. Une épure qui lui donne presque l'air d'un Hopper. Sans blague ? Sans réserves.
Atelier Grognard, Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), 13 h 30-18 heurestous les jours et 10 heures-17 heures mardi, jusqu'au 10 avril, 4-6 €, tél. 01.47.14.11.63. RER A La Défense, puis bus 258 arrêt Château.
« En ce moment, cette expo-là fait du bien »
Ce mardi matin 14 février, parmi la poignée de visiteurs, Lorena, 38 ans, a plusieurs raisons d'être là. Elle habite Rueil, elle a un bébé de 4 mois qui lui fait passer du temps à la maison, et son métier d'étalagiste-décoratrice la prédispose au goût pour l'art. Mais la jeune femme, d'origine en partie espagnole et colombienne, mère aussi d'un petit garçon de 4 ans qui trottine de salle en salle, est émerveillée par l'exposition : « Il faut donner aux enfants le goût du beau. Diego vient de me dire, devant un tableau cubiste : Encore un qui peint carré... Il apprend comment ils font ou pas les contours. Moi, je suis très touchée par cette exposition qui arrive à un bon moment. Ça fait bien. Ce matin, j'ai entendu à la radio que la banlieue n'était qu'un prétexte. Cela veut dire quoi ? On ne parle que de la dureté. La vie ne s'arrête pas aux portes des grandes villes. On voit ici des endroits où avant il n'y avait rien, des champs, ou parfois la zone, avant le périph. C'est émouvant. »
Le Parisien