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L'économie
pour les 7 à 77 ans !
Les bons ouvrages de vulgarisation en économie sont plutôt
rares. Dans "Economix" (éditions Les Arènes), le
journaliste américain Michael Goodwin relève brillamment le défi.
Bestseller aux Etats-Unis, l'ouvrage didactique doit son succès au
fait d'être une BD, grâce au talent du dessinateur Dan E . Burr, et
au choix de la chronologie historique.
Trouver de bons ouvrages de vulgarisation pour une matière
comme l'économie n'est pas chose facile, tant le sujet est polémique aux
yeux du grand public. A la décharge de ce dernier, les certitudes
assénées par les experts économiques, du moins la grande majorité - et
les plus médiatiques - peinent à convaincre. Ainsi, rares sont ceux qui
avaient prévu la crise financière mondiale de 2008 ou encore celle de la
dette européenne de 2010.
Il est vrai que l'économie n'est pas stricto sensu une
science, comme l'est la physique, la chimie ou encore les mathématiques.
Son objet, qui consiste à expliquer comment les êtres humains
s'organisent pour produire, distribuer, échanger et consommer des biens
et des services est extrêmement complexe, car renvoyant au
fonctionnement général des sociétés. Ce qui explique la diversité des
théories et de leurs déclinaisons : mercantilisme, libéralisme,
keynésianisme, marxisme...
Ce préambule pour convaincre celui ou celle qui voudrait
dépendre moins des prophètes de l'économie et acquérir les rudiments de
ce savoir au jargon intimidant qu'il peut se plonger sans crainte dans
l'ouvrage du journaliste et écrivain américain Michael Goodwin intitulé « Economix » dont le sous-titre dit bien le programme : "La première histoire de l'économie en BD".
En effet, Goodwin, frustré de ne pas pas saisir les enjeux
d'une matière qui guide une part prépondérante de nos vies quotidiennes,
a précisément rédigé son livre - qui lui a pris quelques années de
travail - pour y voir plus clair. Comment s'explique la création de
richesse, pourquoi les uns possèdent tant et les autres presque rien (et
cela ne s'arrange pas en ce moment)? Quelles causes conduisent à des
crises qui se transforment de temps en temps en véritables catastrophes,
par exemple des guerres?
A toutes ces interrogations et bien d'autres, l'ouvrage
répond et tient ses promesses - c'est un best-seller outre Atlantique -,
pour au moins deux raisons : d'abord, il y a la volonté pédagogique,
qui passe notamment par le recours à la bande dessinée - remarquable
travail en noir et blanc de l'illustrateur de Dan E . Burr -, et la
nécessité de synthétiser le texte - explicatif, sans jargon - sous la
forme de bulles, grâce à un bon équilibre entre texte et images.
La deuxième raison, plus fondamentale, est le recours à la
chronologie. Comme le souligne Goodwin, en guise de justification
méthodologique : « Nous ne pouvons pas comprendre où nous nous trouvons
si nous ne savons pas comment nous y sommes arrivés. » Or loin d'être
élaborée dans des laboratoires in vitro, l'évolution des économies ne
suit en aucun cas un théorie mais résulte de l'action et des décisions
prises au jour le jour par des individus (quelque soit leur place au
sein de la société) guidés par leurs propres désirs dans des conditions
politiques, culturelles, technologiques données. Bref, comprendre
l'économie passe par un détour historique, et non pas seulement,
disons, par la maîtrise des mathématiques.
L'auteur souligne d'ailleurs combien le scientisme est l'un
des maux de l'économie. Ainsi, l'œuvre maîtresse d'Adam Smith « La
Richesse des nations » est d'abord le résultat d'observations
empiriques, comme l'illustre cette citation, qui pourrait en étonner
quelque uns tant Adam Smith est devenu le symbole de
"l'hyper-libéralisme" : « La proposition de toute nouvelle loi ou
règlement de commerce qui part des (capitalistes) doit toujours être
écoutée avec beaucoup de précaution, et ne doit jamais être adoptée
qu'après avoir été longtemps et sérieusement examinée, non seulement
avec le plus grand scrupule, mais avec la plus grande défiance, elle
vient d'un ordre d'hommes dont l'intérêt n'est jamais exactement le même
que celui du public, qui généralement est intéressé à tromper et même à
opprimer le public, et qui, dans bien des occasions, n'a pas manqué de
le tromper et de l'opprimer. »
En revanche, des auteurs comme Malthus et ses théories sur
la population ou encore David Ricardo, et son livre « Des principes de
l'économie politique et de l'impôt » paru en 1817, illustrent -
brillamment - le biais qui guette les théoriciens : confondre une
logique abstraite avec la réalité. Ainsi, en est-il du fameux « avantage
comparatif », une machine de guerre théorique contre le
protectionnisme, illustrée par le fameux exemple de la production de
vins et de draps en Angleterre et au Portugal, qui démontre que chaque
pays doit se spécialiser dans la production la plus efficace pour
pouvoir optimiser ses échanges. Le problème est que David Ricardo
présuppose que le travail est mobile et le capital est immobile pour
justifier sa théorie. Or dans la réalité, et les exemples des
délocalisations le montrent, le capital est plus mobile que le travail,
limitant la portée générale de l'argument.
En montrant combien le développement historique modifie le
fonctionnement des sociétés - révolution industrielle, guerres
mondiales, colonialisme, révolutions, fonctionnement des États, montée
en puissance du salariat, influence des multinationales... -, Goodwin
montre de manière convaincante que derrière le discours policé de
l'économie se trouve d'abord l'histoire faite "de bruit et de fureur"
des hommes et des femmes.
Surtout, il montre comment l'État a été amené à jouer au
fil de l'histoire récente un rôle de plus en plus central dans
l'organisation sociale et dans l'économie à travers des interventions -
politique monétaire, politique fiscale, dépenses publiques (loin d'être
uniquement sociales), redistribution - souvent influencées par les
acteurs sociaux. « Marxistes et néolibéraux s'intéressaient les uns
comme les autres à la manière dont une économie idéale devrait
fonctionner, et non à celle dont une économie réelle fonctionne ; ils
pensaient également les uns comme les autres que leur idéal pouvait être
atteint en supprimant l'État », souligne l'auteur, qui pointe combien
cette idéalisation découlant de la théorie correspond de moins en moins à
la réalité.
Ce rôle prépondérant de l'État s'est d'ailleurs accompagné
d'une concentration de plus en plus importante des intérêts privés et du
capital sous la forme des grandes compagnies. Goodwin décrit cette
émergence des premiers trusts aux États-Unis (chemins de fer, mines,
pétrole (Standard Oil concentre toute l'activité)), toujours plus
concentrés, notamment via l'activité bancaire, sous la houlette décisive
d'un certain JP Morgan dont l'enseigne est toujours une référence en
matière de banque d'affaires à Wall Street.
Face aux intérêts privés, l'Etat peut jouer un rôle majeur
comme ce fut le cas en 1901 avec le président républicain Teddy
Roosevelt, et son "big stick" qui mit au pas les "riches" ; ou encore
avec un autre Roosevelt (Franklin Delano) qui suivit ses intuitions
contre ses conseillers en économie pour élaborer son "new deal" à coup
de dépenses publiques et relancer ainsi, avec succès, l'économie après
la crise de 1929.
Le recours à la chronologie permet également de replacer
les "interventions" des grands économistes motivées par la volonté de
répondre à des problèmes qui se posent un moment donné de l'histoire. Ce
fut le cas de Karl Marx, de John Meynard Keynes ou encore de Friedrich
Hayek que Goodwin décrit comme "un "formidable penseur" qui regarda
"comment le marché fonctionnait", comment l'interaction de petites
unités (les gens) créait une intelligence complexe (le marché) , qui
réagit aux pénuries, aux évolutions du goût ou aux nouvelles
technologies bien mieux que n'importe quel planificateur humain".
De même, l'apparition de problèmes nouveaux favorisent la
recherche économique, comme par exemple celui de l'impact de la
destruction de l'environnement qui a donné lieu à une riche réflexion
sur les "externalités", dans ce cas négatives, où les activités des uns
peuvent procurer un bénéfice ou induire un coût pour tous les autres
individus.
Au final, l'ouvrage réussit la gageure de fournir en
quelques heures de lecture érudite et plaisante une mise en perspective
historique du fonctionnement de l'économie en expliquant les notions de
base, mises en situation. Évidemment, nombre d'économistes pourront
discuter la faiblesse de tel ou tel point ou certains parti pris mais ce
qui compte c'est la vue d'ensemble pour en maîtriser la cohérence,
comme le rêve tout étudiant. Chacun pourra ensuite approfondir tel ou
tel point par de nouvelles lectures. C'est ce à quoi invite d'ailleurs
Michael Goodwin.
Michael Goodwin "Economix. La première histoire de
l'économie en BD", illustrée par Dan E. Burr, éditions les Arènes,
traduit de l'anglais par Hélène Dauniol-Remaud, 304 pages, 21,90 euros.
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