Voiliers prestigieux - L'Hydroptère : le bateau qui voulait voler
Véritables monstres marins, les catamarans volants effectuent des prouesses qui défient les lois de la nature, à commencer par celles qui régissent la vitesse.
Belem, Phocéa, Pen Duick... Ces voiliers nous font rêver à la seule évocation de leur nom. Tout l'été, Le Point.fr vous invite à revivre les destins hors du commun de ceux par qui notre regard sur la mer a changé.
Ils l'ont rêvé, ils l'ont fait ! En 1963, à la publication de The 40-Knot Sailboat de Bernard Smith, naviguer à 72 km/h relève de la science-fiction. Quarante-cinq ans plus tard, en 2008, l'équipe d'Alain Thébault crie de joie alors que l'Hydroptère, volant au-dessus des flots, brise le "mur du vent" : 50 noeuds à la voile (92,6 km/h) !
En grec, hydros signifie "eau", ptère, "aile". Vous l'avez bien compris, il s'agit d'un engin qui allie aéronautique et génie maritime. "On est comme en apesanteur, à 5 ou 6 mètres au-dessus de l'eau : on a l'impression d'être sur un tapis volant", explique Alain Thébault. Le secret ? Les foils, des sortes d'ailes profilées qui se déplacent dans l'eau. Grâce à elles, les bateaux décollent, uniquement reliés à la mer par trois plans porteurs. Soutenues par ces ailes immergées, les embarcations doublent leur vitesse en un clin d'oeil. Alors que, à flot, la vitesse d'un voilier est limitée par sa longueur, quand il est dressé sur les foils, l'eau ne constitue plus un frein mais un point d'appui. Ainsi, l'Hydroptère, avec seulement 2,5 m2 en contact avec l'eau, navigue à 30 noeuds avec un vent de 15 ! C'est en voulant s'affranchir des lois de la physique que quelques passionnés ont imaginé ce système. Mais il aura fallu cent ans de recherche avant d'aboutir à la quasi-perfection : l'Hydroptère d'Alain Thébault.
Suspendu dans les airs
En 1861, en voulant tester des ailes prévues pour les premiers avions, le Britannique Thomas Moy découvre le principe de l'hydrofoil. L'idée, une fois lancée, va se propager petit à petit. Des bateaux à voile aux bateaux à moteur, les expérimentations s'enchaînent aux États-Unis et en Europe. De nombreux ingénieurs s'y intéressent, y compris de grands noms, tel Alexander Graham Bell. Ce dernier, après avoir équipé de foils des bateaux à moteur, réalise Nancy, une maquette de voilier équipée de ce type d'aile. Nous sommes en 1912, et huit ans plus tard, le premier brevet est déposé par les frères Malcolm et Thomas McIntyre. Leur bateau a-t-il réellement navigué ? Cela reste un mystère.
Testant, à partir de 1938, des modèles dans sa baignoire, Robert Gilruth amorcera un tournant. Dans le séjour de son appartement, ce futur directeur de la Nasa monte de toutes pièces le premier hydrofoil à évoluer sur l'eau : le Catafoil. En 1941, dans la baie de Chesapeake, sur la côte est des États-Unis, ce voilier doté d'un très grand foil en "v" prend son envol. "C'était un moment très agréable, nous naviguions bas sur l'eau à environ 4 noeuds à essayer de rattraper un voilier... Après l'avoir dépassé, nous nous sommes levés sur les foils. Vous pouvez imaginer leurs regards stupéfaits quand nous sommes passés à environ 12 noeuds, suspendus dans les airs", racontera le pionnier.
"On va se faire peur"
L'objectif initial d'améliorer la stabilité et la dérive du voilier est très vite dépassé. Les ingénieurs, et surtout Pierre Perrier, s'emballent : "Ils commencèrent leur étude, suivant l'idée que je leur avais donnée, mais, moins timides que moi, ils arrivèrent très vite à faire décoller le bateau. Pour eux, c'était vraiment la solution d'avenir", expliquera Tabarly. Sur la base d'une coque de Tornado, ils construisent en 1976 un prototype dont les essais font rêver. Malheureusement, les matériaux de l'époque ne permettent pas de construire l'engin à échelle réelle. Éric Tabarly doit alors se contenter du Paul Ricard, une pâle copie ne pouvant décoller que partiellement. Peu après, Alain Thébault intervient. Il contacte Tabarly, reprend le projet initial et se lance dans la construction de ce qui deviendra l'Hydroptère.
Entre la toute première maquette réalisée en 1985 et le premier record battu par l'hydrofoil en 2005, l'équipe d'Alain Thébault a dû naviguer en eaux troubles. "On survole le domaine encore très peu connu des hautes vitesses à la voile. Je pense que, par moments, on va se faire peur", confiait à l'époque Alain Thébault ("L'Hydroptère, le souffle d'un rêve" par Thalassa). En effet, le défi consiste à marier la légèreté et la solidité du voilier. Les foils doivent être particulièrement robustes pour supporter une pression deux fois plus forte que celle que subissent les ailes des avions de chasse. De plus, lorsque l'Hydroptère atteint 50 noeuds, l'eau se met à bouillir autour des plans portants, réduisant ainsi la stabilité du navire, entre autres. Un an après leur premier vol, un des flotteurs se brise lors d'une sortie en pleine mer. "On [était] content d'avoir ramené le bateau. Ce n'était pas acquis", se rappelle Alain Thébault. Après plusieurs échecs, ils réussissent enfin à battre leur premier record.
L'instinct du marin ne suffit plus
À une telle vitesse, le seul instinct du marin ne suffit plus. L'équipage de l'Hydroptère est secondé par tout un arsenal d'appareils électroniques mesurant les moindres réactions du bateau. La démocratisation de ce type de machine n'est donc pas pour tout de suite, et ce, même avec la mise sur le marché de modèles plus petits, tel le Flying Phantom One de Martin Fischer. Après cent ans de recherche, la course à la performance continue. Les ingénieurs de demain devront remporter de nouveaux défis. Nous, nous attendons le jour où l'Hydroptère fera le tour du monde au-dessus des flots.
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