jeudi 12 février 2015

lundi 9 février : Gérard Berry, l'homme qui parle aux ordinateurs

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Gérard Berry, l’homme qui parle aux ordinateurs

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« J’ai bientôt 60 ans… en base 11 », plaisante Gérard Berry, 66 ans dans une semaine (en base 10). Aucun doute, il est informaticien et plaisantin, comme les invités à sa remise de médaille d’or du CNRS s’en rendront compte mercredi 17 décembre. Il faut dire qu’il est aussi, depuis novembre 2009, régent de déformatique au collège de pataphysique, une « société de recherches » savantes et inutiles, inspirée par Alfred Jarry et qui a compté notamment Boris Vian.« L’informatique, c’est la science de l’information. La déformatique, c’est le contraire », explique avec verve et mystère Gérard Berry dans son bureau, plus sérieux, du Collège de France. Il est d’ailleurs le premier professeur d’informatique de cette vénérable institution qui « condamne les chercheurs à la liberté », comme il le rappelle avec délectation.

Tout a commencé par la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane Bettencourt en 2007-2008. Puis le poste a été renouvelé en lien avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), avant de devenir permanent en 2012. « C’est un endroit unique au monde. Le cours doit changer chaque année. Alors que les disciplines sont souvent en silos séparés, ce poste permet de faire se rencontrer différents acteurs », constate celui qui collabore maintenant avec des biologistes en neurosciences au Collège de France ou des acousticiens à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam). L’honneur d’être professeur ici, comme celui de recevoir la médaille d’or, « est une reconnaissance pour ma discipline », explique avec modestie Gérard Berry.
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Adepte de bons mots, il est surtout un spécialiste reconnu des langages informatiques. « J’ai toujours aimé le langage poétique et le langage informatique. Dans les deux cas, la rigueur de l’écriture est importante. Mais comment “parler” avec précision à une machine ? », s’interroge le chercheur.
Adolescent, il s’est d’abord amusé avec des expériences de chimie, chez lui, « avec des produits qui sont interdits aujourd’hui », avant de découvrir sa future discipline à l’Ecole polytechnique, où il est admis en 1967. « Nous avions une étrange machine mais pas idiote, que personne n’utilisait : la PB-250, se souvient Gérard Berry. J’ai essayé de comprendre tout seul comment lui parler. » Après avoir réussi, il entre au corps des Mines. Il se lance dans une thèse, en même temps que lapremière génération d’informaticiensen France, sous la direction de Maurice Nivat, à l’université de Jussieu. « C’était une époque bénie. Tout était neuf. On était en contact avec le monde entier ; mais ce monde était petit…, se souvient-il. En plus nous n’avions pas d’ordinateurs ! En fait si, mais ils ne marchaient pas », rappelle le chercheur, égratignant le plan Calcul français de cette époque. Pour sa thèse, soutenue en 1979, il réalise des contributions importantes dans ce qui est une sorte de métalangage informatique, le lambda-calcul.
Les Mines, dont il restera salarié une bonne partie de sa carrière, l’envoient ensuite près de Nice sur un campus tout neuf, Sophia-Antipolis. Il y part avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est passionné d’escalade et de ski et qu’il veut se mettre à la voile.
Là, il innove, toujours dans le langage. Pour aider des collègues à améliorer leur programme de contrôle d’une voiture automatique, il réalise que la gestion du temps est fondamentale. Comment réconcilier le temps propre du système (la vitesse de l’engin) et les temps de calcul ? Il fait alors l’hypothèse hardie que l’ordinateur calcule infiniment vite ; ce qui oblige à inventer un nouveau langage. Il pose en fait les bases de la programmation synchrone, alors que le monde entier ne jure que par la programmation asynchrone – qui permet tout de même à l’Internet de fonctionner !

« Beau, profond, original »

Son idée revient à mettre un chef d’orchestre pour battre la mesure dans les programmes. Coïncidence, deux autres groupes, à Rennes et Grenoble, s’y mettent aussi. Si bien que la France devient rapidement leader de ces systèmes et langages, notamment utilisés pour le contrôle des commandes des avions ou des trains. Gérard Berry baptise son langage Esterel, par allusion aux massifs de terres rouges près de Nice et parce que « ça sonne comme temps réel »« Le travail sur Esterel est lumineux. Quand on le lit, on est secoué. C’est beau, profond, original », s’enthousiasme Marc Pouzet, du département d’informatique de l’Ecole normale supérieure à Paris.
Nouveau tournant, en 2001, il quitte son laboratoire de Nice pour la direction scientifique d’une société, Esterel Technologies, qui commercialise ces outils de commandes pour des systèmes où la sécurité et la fiabilité sont capitales. « Je voulais faire quelque chose de concret », explique-t-il. L’aventure s’arrêtera en 2009 avec la crise. « Ce fut dur. A cause du rachat par une autre société, je n’ai même plus accès au code de mes programmes, alors qu’auparavant je les donnais volontiers à des universitaires », soupire l’ancien directeur, encore marqué par cet épisode.
Il rejoint alors un laboratoire de l’Inria à Nice-Sophia Antipolis. Il y applique ses concepts synchrones à un nouveau langage, Hop, imaginé par Manuel Serrano pour gérer des matériels hétérogènes en interaction tels des capteurs, des robots, des applications Web…

Enseignement de l’informatique

 Peu de temps avant, il avait aussi enfourché un autre cheval de bataille, celui de l’enseignement de l’informatique à l’école.« J’ai peur qu’on oriente l’enseignement vers le XXe siècle, alors que les enfants sont déjà dans le XXIe », prévenait-il déjà à la fin de sa première leçon inaugurale en janvier 2008. « On marche sur la tête », dit-il toujours aujourd’hui. Les futures tablettes que le gouvernement veut distribuer à chaque élève ? « C’est comme le tricycle. Facile à apprendre mais pas très utile. Nous sommes plus dans une initiative de consommation que de création ! », se désole-t-il.
Avec d’autres, comme l’Académie des sciences (dont il est membre), la Société informatique de France ou l’association Enseignement public et informatique (EPI), il a obtenu le retour d’une option informatique au lycée depuis trois ans, qui a depuis été suivie par 40 000 élèves. « Gérard a été actif dans ce combat. Il a permis de rechercher des compromis utiles »,décrit Gilles Dowek, chercheur à l’Inria et impliqué dans cette revendication. « La seule décision importante serait de faire que l’informatique soit une discipline comme les autres. C’est choquant de voir que l’informatique touche tout le monde et qu’elle ne soit pas au bac ! », rappelle Gérard Berry, soulignant que l’Angleterre a fait d’autres choix.
Le spécialiste du langage ne fait pas que parler. A partir de 1995, dans une école Montessori près de Nice, il a enseigné sa discipline à des enfants… sans ordinateur. « Je leur disais que l’ordinateur, c’était moi et qu’ils devaient me donner les ordres pour marcher. Je suis souvent tombé ! », s’amuse-t-il. « Gérard détonne un peu dans le milieu », constate Manuel Serrano.
Le lauréat de la médaille d’or a d’ailleurs l’intention de profiter de son discours devant les ministre et secrétaire d’Etat chargées de l’éducation et de la recherche pour revenir sur ses sujets de prédilection : l’enseignement de l’informatique et le financement de la recherche. Sur ce dernier point, il regrette que les moyens soient trop orientés par les défis sociétaux.« Tout ce que j’ai trouvé en recherche n’était pas programmé. » Foi d’informaticien.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 15.12.2014 à 15h17 • Mis à jour le 16.12.2014 à 08h35 | Par David Larousserie

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