mardi 10 septembre 2013

Mardi 10 septembre : Grégoire Courtine, le "neuro-réhabiliteur"

http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2013/08/19/gregoire-courtine-l-ovni-de-la-recherche-scientifique_3463543_3208.html

Grégoire Courtine, l'ovni de la recherche scientifique

 Ce chercheur français installé à Lausanne et au protocole hors normes, veut faire remarcher les personnes atteintes d'une lésion de la moelle épinière.
Grégoire Courtine, l'un des chercheurs les plus prometteurs en neuroréhabilitation du monde, est français et n'a peur de rien : il veut permettre aux paralysés de (re)marcher. Publiées dans la revue Science en juin 2012, ses recherches ont agité la communauté scientifique, médusé les médias, et rendu de l'espoir aux 50 000 personnes immobilisées chaque année à la suite d'une lésion de la moelle épinière. Son protocole hors norme, à base de stimulation pharmacologique, électrique et d'entraînement assisté de robot, a été testé sur le rat. Au troisième jour de TEDGlobal, qui s'est déroulé à Edimbourg en juin, on ne parlait que de lui.

Installé dans la "vallée de la santé" en Suisse, entouré des meilleurs ingénieurs et financé par la puissante et audacieuse Ecole polytechnique de Lausanne, Grégoire Courtine, 38 ans, divise ses pairs. Est-ce sa jeunesse, ses idées, ses manières ? "On a mis le doigt sur quelque chose d'essentiel : on ne remplace pas la fonction manquante, mais on aide le corps à se réparer lui-même." Il se donne deux ans pour appliquer ce protocole au singe, plus proche de l'homme, puis à des premiers patients volontaires. Il tempère : "Nous ne sommes pas la solution, mais apportons une pièce essentielle au puzzle."

Enfant, dans sa chambre à Dijon, il traque le ciel, veut repérer les ovnis. Adolescent, il y bidouille des précipités chimiques, la mécanique, le langage de programmation informatique. Etudiant en sport (Staps), il devient champion d'escalade, dispute la Coupe du monde. A la faveur d'une longueur sur un mur d'entraînement avec un professeur de neuroscience, il découvre que le cerveau commande le mouvement. "Cela m'a passionné : Louis Mieusset m'a convaincu d'aller à Marseille, où il y a la meilleure formation en neuroscience du mouvement. Il a été mon premier mentor."

SON PREMIER SUJET : ÉTUDIER LES COSMONAUTES

Grégoire Courtine oublie les Calanques et se forme. Un "professeur de médecine italien extraordinaire", Marco Schieppati, l'accueille pour sa thèse, en Lombardie. Il garde pourtant la tête dans les étoiles. Son sujet : "Etudier comment les cosmonautes de la station Mir font pour remarcher une fois revenus sur Terre, comment leur cerveau se réadapte." Mission accomplie. Invité à une conférence à Stockholm, il présente, dans un anglais approximatif, ses recherches dans la salle des prix Nobel, devant le directeur de la NASA et Reggie Edgerton, "le premier homme à avoir montré que la moelle épinière, même isolée du cerveau, pouvait réapprendre à marcher, courir".
Grégoire Courtine s'avance, timide, Reggie Edgerton le félicite, le recrute : "Il voulait que j'expérimente sur les primates tout ce que j'ai fait sur les cosmonautes."
Grégoire Courtine atterrit dans une unité de recherche de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) financée par la fondation Christopher Reeve. De son fauteuil roulant, l'ancien acteur de Superman exhortait les chercheurs à ne pas s'enfermer dans leur laboratoire, mais à aller le plus souvent possible en salle de réhabilitation pour mieux comprendre les patients. Grégoire Courtine apprend, innove, publie au moins une étude par an. L'UCLA l'honore en 2007 du titre de meilleur chercheur (prix Chancellor puis Schellenberg). La France, dit-il, l'ignore ; la Suisse lui fait un pont d'or : 3,5 millions d'euros pour le laboratoire de ses rêves à l'université de Zurich. "Ils m'ont dit : "Il faut que tu fasses quelque chose d'important. Tu as cinq ans"."

FAIRE MARCHER UN RAT PARALYSÉ

Grégoire Courtine entre dans le mercato scientifique. Il crée son équipe, poursuit ses recherches, passe du primate au rat. La crise s'installe, ses fonds s'épuisent, il doute de la capacité de l'université de Zurich à l'accompagner plus loin. Il est appelé par une autre bonne fée : Patrick Aebischer, le patron de l'Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL) : "Il vient de récupérer 1 milliard d'euros pour l'Human Brain Project . Il est en train de transformer cette école de province en l'une des meilleurs facs au monde. Il me parle de la "vallée de la santé", de sa volonté de mettre tous les outils développés par les ingénieurs de Polytechnique au service des projets de recherche." L'EPFL triple la mise, investit 9,5 millions pour Grégoire Courtine, son équipe multidisciplinaire (aujourd'hui de 20 à 30 personnes) et leur projet Re-Walk. "On a pris l'équipement, on est tous venus. On a remonté le labo, et tout s'est accéléré, on a publié les études, déposé les brevets."
Pour expliquer son approche radicale, Grégoire Courtine aime comparer le sujet paralysé, ici le rat, à une voiture à l'arrêt. "Pour la faire démarrer, il lui faut du carburant. C'est le cocktail, à base de dopamine, adrénaline, sérotonine, qui active les cellules de la moelle épinière. Ensuite, il faut actionner la pédale d'accélération. Pour cela, on stimule électriquement différents points autour de la lésion. Enfin, il faut donner la direction, savoiraller. Et cela, on l'obtient par l'entraînement dans un cadre sécurisé pour le sujet et assisté d'un robot. C'est ce que j'appelle la neuroprothèse électrochimique : on fournit à la moelle épinière tout ce que le cerveau lui donnerait naturellement pour marcher. Au début, le sujet se tient debout, puis fait un pas, deux pas. Bien stimulé, volontairement, il commence à se débrouiller."

Avec son équipe, il manque de tomber à la renverse. Le rat marche, puis court, grimpe les escaliers. Surtout, les nerfs repoussent : les liaisons nerveuses ont contourné la zone lésée, la communication avec le cerveau est rétablie.

Fascination pour les sommets, humilité devant la paroi, créativité du geste, force des appuis, Grégoire Courtine n'est pas grimpeur pour rien. Il a le goût du risque mais le besoin d'être assuré. Il le sait : les plus belles montagnes ne se conquièrent jamais seul. Affûté, endurant, survolté, il est un étonnant mélange de bon sens bourguignon, d'excellence française, d'enthousiasme californien, de sens des affaires suisse. Il n'a qu'une crainte : perdre sa fraîcheur et devenir un mandarin. Ce serait dommage : être un ovni lui va très bien.

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