jeudi 9 janvier 2014

Jeudi 9 janvier : De 1984 à 2012, Amanda Galsworthy fut la traductrice attitrée des locataires de l'Élysée. Confidences, anecdotes et témoignages...

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Le Point - Publié le  

Elle a traduit Mitterrand, Chirac et Sarkozy !

De 1984 à 2012, Amanda Galsworthy fut la traductrice attitrée des locataires de l'Élysée. Confidences, anecdotes et témoignages...

Elodie Grégoire/Le Point
Le 23 octobre 1984, profitant de l'état grippal de Brigitte Sauzay, l'interprète de Danielle Mitterrand, Amanda débuta au service de la première dame, lors d'une visite au Royaume-Uni. "Un lucky break", dit-elle. C'est Christopher Thiéry, l'interprète en chef de l'Élysée, qui pensa à elle pour cette première mission. "Il fallait être couvert en présence de la reine et Christopher Thiéry a considéré qu'étant anglaise j'avais sûrement un chapeau dans ma garde-robe", sourit Amanda. 
Cette visite intervenait dans un fort climat de tensions entre les deux pays, après une obscure affaire d'explosifs retrouvés dans les jardins de la résidence de l'ambassadeur de France à Londres. Les services secrets de la Couronne accusaient les services français d'être à l'origine de ce "canular". François Mitterrand était furieux. Peu avant le dîner de gala organisé à l'ambassade de France en l'honneur de la reine, le président français, accompagné d'un aréopage de conseillers, croisa Amanda au pied d'un escalier. "Dites-moi, vous qui êtes anglaise, savez-vous d'où vient cette histoire [d'explosifs] ?" lui demanda-t-il. "Je ne sais pas", s'est-elle contentée de répondre." Je suis convaincue qu'il me testait. Il ne faisait jamais rien au hasard", affirme Amanda, qui confie, au passage, ne jamais avoir résolu ce mystère : Mitterrand savait-il ou non parler anglais ? Après cette expérience britannique, elle multiplia les missions auprès du président à la rose, qui se vantait devant Margaret Thatcher d'avoir une traductrice d'origine anglaise. "Elle est des nôtres !" plaisantait-il, sans que l'on connaisse, sur le moment, la réaction du Premier ministre britannique.

Quand Amanda évoque le nom de Jacques Chirac, son regard s'éclaire. Chirac, c'est la grande classe. Le seul président qui a osé interrompre, pour elle, un déjeuner officiel. "Amanda needs to eat. Mangez, Amanda ! Allez, mangez !" insista-t-il, alors qu'il fallait à l'interprète une totale disponibilité buccale pour pouvoir assurer les échanges... "Vous ne voulez pas manger ? Eh bien, on arrête le déjeuner", trancha Chirac, faisant signe à ses hôtes de faire une pause, sous le regard ébahi d'Amanda. Dans d'autres circonstances, mais toujours attablé, l'ancien président alla jusqu'à lui beurrer des tartines et les lui passer discrètement. Un jour qu'elle fêtait l'anniversaire de sa fille, laquelle avait invité plusieurs copines à la maison ainsi qu'une sorcière pour l'animation, son téléphone sonna. Chirac recevait le Premier ministre singapourien. Amanda fut donc priée de se rendre à l'Élysée le plus rapidement possible. Après l'entretien, le président, qui avait relevé une certaine inquiétude dans l'oeil de son interprète, prit de ses nouvelles. "Ça va moyen", répondit-elle. Chirac se raidit. "Ça va moyen ?" s'inquiéta-t-il. Amanda évoqua l'anniversaire de sa fille, les copines dans le salon et la sorcière au milieu. Très vite, Chirac se saisit d'un stylo et d'une carte sur laquelle il écrivit un mot à l'attention de la fille d'Amanda. "Maintenant, partez vite !" lui enjoignit-il.

Sarkozy battu, Hollande la congédie
La période Nicolas Sarkozy a, et de loin, été pour Amanda la plus intense. La conférence de Copenhague sur le climat, en 2009, a été un cauchemar. Près de vingt-six heures de négociations, sans dormir, en ayant très peu mangé... Elle se souvient également de sa première conférence de presse avec Sarkozy, qui s'était soldée par une polémique. Après un entretien avec Vladimir Poutine, le président français, qui s'était présenté, fébrile, devant les journalistes, avait été accusé d'être ivre. "Il était seulement essoufflé", rapporte Amanda, qui a dès lors mesuré le "décalage" entre la réalité et la perception médiatique. 

Elle reprend ce terme, "décalage", lorsqu'elle parle de George W. Bush, un des présidents américains les plus haïs. Sans juger de sa politique, Amanda l'a toujours perçu comme un homme fin, intelligent, qui plus est galant, se démenant, par exemple, chaque fois pour lui trouver une chaise.

Avec Sarkozy, elle n'était pas seulement derrière lui, mais "avec lui", comme elle dit. La crise de 2008 les a rendus inséparables. À tel point qu'elle connaissait son Sarkozy sur le bout de la langue et pouvait terminer ses phrases. Ce fut le cas, un jour, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. Barack Obama en a souri, Nicolas Sarkozy aussi. "La prochaine fois, c'est elle qui fera l'entretien à ma place", a plaisanté le président français. Le premier déplacement officiel de Sarkozy en Angleterre, en mars 2008, a été un grand moment pour cette enfant du pays. "J'étais épatée par le parcours de Carla durant cette visite", avoue Amanda, qui, dans les pas de Sarkozy, avait souvent un sentiment de "History in the making". Et pour cause. Sarkozy le martelait : "Il faut moraliser le capitalisme." Une expression intraduisible en anglais. 

Aussi intraduisible, selon Amanda, que les conférences de presse de John Major, qui usait souvent du jargon du cricket pour appuyer ses démonstrations économiques. À défaut, donc, d'une formule idoine, elle expliquait aux interlocuteurs du président le sens de la moralisation du capitalisme, jusqu'au jour où elle entendit à la radio David Cameron évoquer le "capitalism with a conscience". Elle tenait enfin sa formule !

En 2012, Sarkozy battu, le cabinet de François Hollande décide de mettre un terme à sa collaboration avec l'Élysée. Amanda n'a pas compris. Ou, plutôt, trop bien compris. Parce qu'elle excellait dans l'exercice de son métier, au point de faire un avec le président sortant, d'épouser ses intonations, ses traits de joie ou de colère, elle a été considérée comme une sarkozyste. "Si cela me manque ? Oui et non. Je me suis recentrée sur Alto-International [la boîte qu'elle a créée en 1997, qui regroupe un réseau d'interprètes et de traducteurs internationaux, NDLR]. C'est ma fierté, mon bébé. J'apprends à lire des bilans !" sourit celle qui fréquente désormais moult patrons du CAC 40.

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