samedi 11 janvier 2014

Mardi 14 janvier : Il était une fois Chanel en Amérique

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Il était une fois Chanel en Amérique

LE MONDE | 
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Défilé des Métiers d'Art de la maison Chanel, le 10 décembre 2013 à Dallas. | BENOÎT PEVERELLI POUR « LE MONDE ».
Dallas : drôle d’escale dans la géographie Chanel. C’est pourtant la destination du dernier défilé Métiers d’art de la griffe française. Cette collection événement qui n’existe que chez Chanel associe, chaque fin d’année, une ville à Paris. Après Edimbourg, voici donc Dallas. Elle mobilise les savoir-faire des ateliers d’artisanat d’art rachetés par la maison (mais qui ont la possibilité de travailler pour d’autres) et rassemblés sous l’étiquette « Paraffection ». Brodeur (Lesage), gantier (Causse), plisseur (Lognon), orfèvre (Goossens), plumassier (Lemarié)…
Chacun contribue à donner vie aux idées de Karl Lagerfeld, qui attise les curiosités avec son inspiration texane. Allusions à J.-R. et Sue Ellen, antihéros de série télé ? Spectre de JFK assassiné ici il y a cinquante ans ? Passion cachée pour les westerns ? Rien de tout cela.
Dallas est liée à un chapitre souvent ignoré du parcours de Coco Chanel : sa seconde carrière entamée en 1954, à 71 ans. Si l’accueil en France fut glacial, la presse et les grands magasins américains l’ont soutenue, contribuant ainsi à son nouveau succès. En 1957, « Mademoiselle » entreprendra un voyage aux Etats-Unis pour rencontrer ses clientes et recevoir un « Award » prestigieux décerné par Neiman Marcus, chaîne de grands magasins américains fondée à Dallas.
Dans ce retour sur le mythe « chanelien », il ne fallait pas compter sur Karl Lagerfeld pour s’abaisser à un quelconque premier degré ; le couturier manie comme à son habitude sens du décalage et goût de la petite phrase affûtée. « Tout le monde se tourne vers l’Asie mais je voulais rendre hommage à l’Amérique, malgré les écoutes, sourit-il. Et puis, dans cette affaire, M. Obama s’est sans doute beaucoup inspiré de M. Mitterrand. » Au-delà des allusions historiques, l’événement se lit comme une illustration brillante et distrayante de tout ce qui fait la force de Chanel aujourd’hui.
Dans le décor classé de Fair Park, malgré les scories de l’exceptionnelle tempête de neige qui a frappé la ville, la soirée commence par une projection dans un décor de drive-in des années 1950 : un « set » à faire saliver Hollywood où les invités armés de pop-corn et de bretzels s’installent dans une des 74 voitures de collection rassemblées pour l’occasion. Cette superproduction faussement rétro est calibrée pour le XXIe siècle et ses réseaux sociaux : en quelques heures, ces voitures ont envahi les autoroutes de l’image virtuelle que sont Instagram et Twitter. « Etre capable d’opérer sur tous ces différents vecteurs de communication avec sa vision exceptionnelle est l’exercice préféré de Karl Lagerfeld », assure Bruno Pavlovsky, directeur des activités mode de Chanel. Destiné également à Internet, le court-métrage du couturier The Return met en scène une Coco Chanel vieillissante interprétée par Géraldine Chaplin. Même si elle finit par triompher de ses détracteurs, on a peu vu cette Chanel-là, vulnérable malgré son sens de la repartie. Dans un monde aseptisé où l’on retouche tout (ses fesses, son CV), montrer des failles et de l’humain, même de façon très maîtrisée, est une façon intelligente de toucher le public.
« TOURNÉS VERS L’AVENIR »
Pas de faille en revanche dans la collection : les couleurs et les motifs du Nouveau-Mexique, le style des combattants de la guerre de Sécession ou celui des pionnières et le Chanel d’aujourd’hui se télescopent dans un décor de bois façon ranch.
Les mailles moelleuses aux motifs hispanisants reprennent les lignes du cardigan « à la Chanel », les blouses et les robes en gaze blanche finement plissées et rebrodées évoquent les mariées du Nouveau Monde autant qu’un esprit couture virginal. Les tailleurs jupe à veste courte sont portés avec des bottes de soldat à bouts patinés et des bijoux faussement ethniques où l’or et la pâte de verre ont remplacé l’argent et la turquoise ; pour le soir, des robes et des boléros sont rebrodés de petites étoiles empruntées au drapeau américain et au vocabulaire Chanel. Il y a aussi beaucoup d’humour dans ce vestiaire qui égrène mini-sac bidon de pétrole, ceinture porte-pistolets pour ranger des flacons de N° 5 ou chaps(protège-jambes en peau) transformés en chauffe-épaules.
En jouant habilement avec les clichés, Karl Lagerfeld a réussi sa conquête de l’Amérique. Même si deux coiffes de plumes ont provoqué la colère d’une militante amérindienne : l’énervement paraît disproportionné au vu des intentions de la maison.
Le périple de la collection Métiers d’art ne fait que commencer : ce vaste ensemble est vite reparti vers Paris pour un défilé commercial tandis que les ventes aux acheteurs professionnels ont été lancées vendredi 13 décembre.
Au-delà de l’impact commercial et médiatique, valoriser ces artisanats a un sens très moderne pour Chanel. « La collection s’appuie beaucoup sur ces savoir-faire, explique Bruno Pavlovsky, et sert aussi à sortir ces métiers de leur image vieillotte. Ces ateliers utilisent leurs techniques pour faire toujours mieux, plus actuel. Ils sont tournés vers l’avenir. Ils apportent aussi leur contribution en haute couture et pour certaines pièces de prêt-à-porter. Ils font partie intégrante du monde de la mode d’aujourd’hui. »
De l’immédiateté des réseaux sociaux à la pérennité des savoir-faire, la collection Métiers d’art incarne la modernité qui est le graal du luxe global : une modernité désirable car universelle, mais qui reste à échelle humaine. Celle qui pousse les créatures de mode les plus blasées vers le taureau mécanique installé dans le décor de saloon chic de la soirée post-défilé et les clientes les plus exigeantes vers des pièces inspirées par une ville qu’elles ne verront peut-être jamais.

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