mercredi 20 août 2014

jeudi 21 août : Marc Delcourt, roi du pétrole vert

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Marc Delcourt, roi du pétrole vert

Depuis peu, il s’est laissé pousser un collier de barbe, où le sel commence à manger le poivre. Manière de masquer son allure d’étudiant attardé – « je faisais un peu jeune pour lever des fonds » – et d’inspirer confiance aux investisseurs. Ceux-ci n’ont pourtant pas attendu cet artifice pileux pour lui faire crédit. Global Bioenergies, la start-up qu’il a fondée en 2008 et qui est cotée en Bourse, est la seule en Europe, et l’une des rares au monde, à exploiter un filon neuf : la production d’hydrocarbures biologiques. Il s’agit de remplacer le pétrole d’origine fossile par des ressources végétales renouvelables. De transmuter l’or noir en or vert. Il y va, est-il convaincu, de « l’avenir de notre civilisation ».

Sous ses airs poupins de doux rêveur, Marc Delcourt est en réalité, à 43 ans, un redoutable businessman, doublé d’un visionnaire. Un mélange de culture scientifique et de goût de l’entreprise, comme on en voit encore rarement dans l’Hexagone. Sans doute ce métissage puise-t-il dans ses racines familiales, auprès de parents enseignants-chercheurs, physique des hautes énergies côté père, chimie des agrégats côté mère. Agréger les énergies, au propre comme au figuré : tout son parcours tient dans cette formule physico-chimique.
De Rabat, où il est né, au Genopole d’Evry (Essonne), où est implantée sa société, son itinéraire n’a pourtant rien de linéaire. Il a 1 an quand ses parents se rapatrient dans les Yvelines, où il mène une vie « modeste », avec des résultats scolaires tout aussi « moyens ». Il n’entame pas moins des études de médecine et se révèle une « bête à concours ». Au point de se présenter en candidat libre à l’Ecole normale supérieure, où il est reçu en section debiologie, avant de soutenir une thèse en immunologie. « J’allais, dit-il, là où le vent me portait. »
Il y avait, raconte-t-il, une effervescence entrepreneuriale inconnue en France »
Le vent du large le mènera jusqu’à Montréal. C’est là qu’il contracte le virus de l’industrie« Il y avait, raconte-t-il, une effervescence entrepreneuriale inconnue en France. Autour de moi, je voyais des tas de sociétés se créer à partirde labos, portées par des jeunes pleins d’enthousiasme. »
Depuis le Québec, il rédige le business plan de sa première entreprise, Biométhodes, une plate-forme d’ingénierie des protéines qui voit le jour en 1997 à Evry et qui emploie toujours une quarantaine de personnes.
Ce ne sera qu’un tour de rodage. Il repart de zéro, l’expérience en plus. Voilà six ans, il se lance, avec son complice Philippe Marlière, pionnier de la biologie de synthèse, dans l’aventure de Global Bioenergies. Objectif : « Produire des hydrocarbures autrement. » Autrement, c’est-à-dire en s’affranchissant des ressources fossiles en voie d’épuisement et fortement émettrices de CO2.
La jeune société vise une production « pur sucre ». Ses matières premières sont les déchets de l’industrie sucrière (mélasse de betterave et bagasse de canne), l’amidon du blé et du maïs, ou encore la cellulose des résidus agricoles et forestiers. Tout l’art consiste à les faire digérer par des bactéries au génome reprogrammé, pour les convertir en une famille de gaz tirés du pétrole : isobutène, propylène, butadiène… Avec eux, on peut ensuite faire du plastique, du caoutchouc, du verre organique, du vernis, de la mousse, mais aussi du carburant. A la clé, un marché chiffré, au niveau mondial, en centaines de milliards d’euros.
La jeune société vise une production « pur sucre » | JÉRÔME GALLAND POUR LE MONDE
Marc Delcourt, qui s’affiche « volontiers écolo », pense à la planète« En termes de gaz à effet de serre, le gain est compris entre 0 % et 70 %, selon les végétaux utilisés », assure-t-il. Pour trouver les terres nécessaires, il faut« mettre fin au gaspillage alimentaire et terminer la réforme agraire ». Mais il pense aussi à l’addiction de nos sociétés au pétrole et au choc que sera l’inévitable cure de désintoxication.
« Si on ne fait rien aujourd’hui, le jour où on s’apercevra qu’il ne reste plus que dix ans ou vingt ans de réserves de pétrole, ce sera trop tard et on retournera à l’âge de pierre, prévient-il. Nous vivons dans un village mondial et, pour la première fois, nous sommes confrontés à un risque de régression générale. » Bien sûr, il ne prétend pas que ses plantes sucrières sont la panacée. Mais, il en est persuadé, « les bioénergies sont un morceau de la solution », qui passe aussi par « une nouvelle frugalité ».
Vouloir innover et réussir en France sonne comme un oxymore »
Son vrai ressort est de se vivre en « guerrier de la biotechnologie », décrypte toutefois Philippe Marlière. Il le dépeint en « sorte de héros, façon Superdupont », car, dit-il, « il faut aujourd’hui de l’héroïsme pour croire, seul ou presque, au génie français », tant « vouloir innover et réussir en France sonne comme un oxymore »« Il pense qu’il a un rôle à jouer, ajoute son partenaire. Son truc, c’est de lancer des choses, de créer des entreprises, d’inciter d’autres à encréer. »
Marc Delcourt le confirme : s’il fait un jour fortune, ce qui pourrait bien lui arriver, il en fera de l’argent utile, fonds d’amorçage ou capital-risque, pour « faire marcher le système de l’entrepreneuriat ». Il a déjà transféré ses actions à une holding personnelle dont la vocation est de réaliser des investissements.
L’affaire est bien engagée. Global Bioenergies, qui a levé 37 millions d’euros depuis sa création, emploie aujourd’hui une cinquantaine de personnes. Elle a signé des accords de partenariat avec des géants industriels, comme le chimiste français Arkema ou le constructeur automobile allemand Audi. Des discussions sont en cours avec une centaine d’entreprises intéressées par sa technologie, jusqu’au Brésil et aux Etats-Unis.
En octobre sera mis en service, près de Reims (Marne), un premier pilote industriel, d’une capacité de production annuelle de 10 tonnes d’isobutène. Un deuxième pilote, dix fois plus gros, est prévu sur le site de la raffinerie de Leuna, en ex-RDA. Les futures unités de production, elles, seront encore cent fois plus grandes. Marc Delcourt se voit déjà en roi du pétrole vert.
Voir aussi : le monde de demain selon Marc Delcourt
Demain : Ils feront le monde (17/43) Juli Zeh, écrivaine
Par Pierre Le Hir

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