mercredi 20 août 2014

mardi 19 août : jeune chercheur et entrepreneur

http://mobile.lemonde.fr/festival/article/2014/08/18/son-thierry-ly-a-la-fois-jeune-chercheur-et-entrepreneur_4472764_4415198.html

Son-Thierry Ly, faire feu de tout bois

Agir est le maître mot de cet économiste, enfant d’immigrés, qui repense la société sans cadre ni tabou
Côté pile, c’est l’« Asiatique fort en maths ». Côté face, l’éternel enfant d’immigrés. A 27 ans, Son-Thierry Ly porte sur l’école un regard de premier de la classe, et sur la récré le souvenir du gamin longtemps honteux de n’avoir ni les codes ni la culture. C’est de ces deux identités qu’est née son envie d’agir sur la société ; son ambition de faire avancer l’égalité des chances. « Il poutvait appliquer son génie à toutes les disciplines. Il a choisi de le centrer sur ce qu’il aime et donne sens à sa vie », dit de lui l’historien et politologue Patrick Weil. A l’Ecole normale supérieure (ENS), il a d’emblée repéré ce profil atypique, qui frappe un jour à la porte de son séminaire de sociologie « pour s’apercevoir » alors qu’il était inscrit en biologie« Il m’a dit qu’il n’aurait pas le niveau et qu’il n’allait pas rester. En fin d’année, c’est lui qui m’a rendu le dossier le plus brillant. »

Son-Thierry Ly n’a pas le parcours linéaire de ceux qui, dès le berceau, sont promis à un destin. Fort de sa mention « très bien » au baccalauréat scientifique, il s’inscrit en médecine« parce qu’aux yeux de [s]a mère, avoir un enfant médecin redonnerait à la famille le statut social laissé à Saïgon en 1976, au moment de son départ. Ce titre pouvait effacer les galères de sa vie », estime-t-il.

Sa famille, aisée au Vietnam, a tout perdu en partant, et la reconquête de ce statut social semble être inscrite dans l’ADN du jeune homme. Moins comme une revanche que comme un juste dû. Pour le retrouver, le premier argument de Son-Thierry Ly est sa force de travail. Il privilégie les heures matinales, au point que quand Paris s’éveille il a derrière lui une petite journée. Travail et talent conjugués, il est reçu major au concours de médecine, y fait une année avant d’intégrer Normale-Sup en parallèle.
J’avais besoin de combler mes lacunes culturelles »
Sélectionné sur dossier, il arrive en biologie, mais voudrait bien découvrir les autres sciences« J’avais besoin de combler mes lacunes culturelles, analyse-t-il. J’ai profité de l’ENS pour découvrir d’autres disciplines. » Licence de biologie, master 1 de sociologie… il passe ensuite une tête à l’Ecole d’économie de Paris et suit le master sur les politiques publiques, dirigé par Eric Maurin de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). « J’aime la sociologie pour la finesse de compréhension de la société qu’elle permet. Mais j’adore l’économie parce que c’est une discipline d’action qui aide réellement les politiques publiques », rappelle celui qui soutiendra, en décembre, sa thèse en économie, dirigée par MM. Maurin et Weil.
Son travail de doctorat met en évidence la créativité du chercheur. Son-Thierry Ly a cette façon de regarder les sujets avec bon sens, humanité et extrême rigueur. Son amie Marie Darrason, rencontrée à Normale-Sup, dit de lui qu’« il pense large, sans cadre imposé, sans frontières ».
Son-Thierry Ly. | MARION GAMBIN POUR LE MONDE
Il est le premier (avec Arnaud Riegert, cosignataire de cette étude publiée en septembre 2013) à avoir prouvé que laisser ensemble les camarades de collège a un bénéfice net sur la réussite scolaire au lycée. Les autres articles de sa thèse sont, comme cette étude, entre les mains de revues internationales friandes de regards originaux. Qui avait, avant lui, pensé à observer comment les notes des filles aux oraux de l’ENS différaient de leurs notes à l’écrit en fonction de la masculinité supposée des disciplines ?
En juillet, il a cosigné avec Eric Maurin un travail prouvant que lorsque les établissements scolaires ne mettent pas en place de politique explicite de lutte contre la ségrégation sociale, il s’y crée des classes de pauvres et des classes de riches… Une approche qui ne veut pas donner de leçons aux proviseurs, mais des outils leur permettant de mieux gérer.
 Un mélange de dynamisme entrepreneurial et de rigueur scientifique »
Agir est bien son maître mot. Ce dont Son-Thierry Ly est le plus fier, c’est d’avoir créé, à Normale-Sup, les Programmes pour l’égalité scolaire et universitaire (PESU). Un pôle inséré dans l’Ecole afin d’aider les lycéens défavorisés à intégrer les meilleures formations. Un joli chemin parcouru depuis la création de son association de soutien, Talens. « Il a bataillé pour créer une structure pérenne. Et son enthousiasme a fait bouger la très traditionnelle ENS », se souvient Marie Darrason, secrétaire générale.
« Son-Thierry, ajoute la jeune docteure en philosophie, a la force de ceux qui se sentent investis d’une mission qui les dépasse, en l’occurrence trouver les moyens de réformer l’école et la société pour que tous les enfants défavorisés – et particulièrement ceux issus de l’immigration – y réussissent mieux. Pour répondre à ce défi, il est prêt à faire feu de tout bois, se prêter à l’ascèse scientifique – pour mieux comprendre – mais aussi à s’investir dans l’action politique et l’élaboration des lois, voire créer sa propre entreprise de technologies pour l’innovation pédagogique – pour mieux agir et tester. Un mélange de dynamisme entrepreneurial et de rigueur scientifique qu’on retrouve chez Esther Duflo, par exemple. » C’est vrai que tous les chantiers ouverts par le scientifique évoquent par leur originalité les études de l’économiste franco-américaine.
La facette privée de Son-Thierry Ly répond en écho à son combat public, avec comme même maître mot, là encore, la solidarité. Son sens de la famille lui a fait partager son salaire de l’ENS avec une mère en difficulté. Et sa fidélité à la culture populaire de son quartier lui fait aimer aujourd’hui encore le hip-hop et les jeux vidéo.
Où sera-t-il demain ? En poste en France ? Parti à l’étranger, ce dont il n’a pas envie ? Dans un cabinet ministériel, ou à la tête de l’entreprise de pédagogie qu’il est en train de monter ? « Une entreprise totalement originale qui intègre les acquis des sciences cognitives et permet d’apprendre de manière plus ludique », précise d’ailleurs Marie Darrason. Les paris sont ouverts. Mais, quelle que soit sa route en 2015, il fera parler de lui dans les années àvenir.
Demain : Alexandre Gauthier, chef cuisinier.
Par Maryline Baumard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.